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Tattito Rykiel Out Of The Garbage
15 août 2007

Apologie du casseur

Par Serge Roure (éd. Michalon, 2006)

"Masqués, nocturnes, masculins, armés, ravageurs, homicides, aphasiques. Non, ce n’est pas une troupe de l’ombre sortie des enfers dans un film catastrophe qui répond à cette liste de qualificatifs, mais un déplorable réel."
Ces lignes sont parues en novembre 2005 dans un dossier de Marianne consacré aux "vrais incendiaires" des banlieues. Craignant peut-être que ses lecteurs n’imaginent des CRS, l'auteure, la philosophe Catherine Kintzler, s’empressait d’ajouter qu’elle décrivait ainsi les casseurs.
Passons très vite sur "homicides", les intéressés apprécieront. On sait aujourd’hui que les seules morts liées aux émeutes sont celles de Bouna et Zyed, les adolescents électrocutés dans un transformateur EDF de Clichy.
Pour l’aphasie, les intéressés apprécieront aussi. Mais il est bon de relever le mépris que trahit le choix de ce terme; au moins s’accorde-t-il avec ceux de "barbarie" et de "barbares" qui émaillent la suite de la prose civilisée de notre philosophe. Le barbare est en effet pour les anciens Grecs l'étranger, une sorte de sous-homme, de sauvage, incapable d’articuler des sons humains. Nul n’est besoin pourtant de porter aux nues la culture des banlieues pour reconnaître que les jeunes qui la pratiquent sont tout sauf des idiots aphasiques. Ils sont souvent très malins, vifs d’esprit, c’est-à-dire capables d’une pensée digne de ce nom et l’on ne pense bien que dans les mots. Le "réel" jugé "déplorable" par Mme Kintziler ne parle pas. Le rap, ça n’existe donc pas. Le slam non plus. Les joutes verbales et le goût pour la vanne encore moins. Et, forcément, tous les casseurs des nuits de novembre sont déscolarisés depuis la sixième.
Concernant les autres épithètes de film catastrophe, l’auteure aurait sans doute préféré qu’une émeute se fasse à visage découvert, en plein jour, avec de frêles jeunes filles, des fleurs et en essayant de ne rien déranger…
Il serait facile d'ironiser davantage sur le lexique et le ton adoptés par Kintzler pour discréditer le mouvement de révolte des banlieues. Les propos de ce type, suintant de mépris, jouant sur les peurs et les fantasmes de l'opinion, soucieux de persuader plus que de convaincre, parfois mal informés (voir la question des homicides), n’ont pas manqué dans la presse de l’hiver 2005.
Désormais, la présidentielle de 2007 est dans la ligne de mire des politiques et des médias, la campagne risque de ressembler aux précédentes, au moins sur la question de la violence. Les JT vont nous servir du fait divers en banlieues, de l'agression de vieilles dames ou de policiers, des affrontements entre bandes, comme si l’approche des élections échauffait l’esprit des délinquants au point de les rendre plus actifs qu’à l’accoutumée. Les candidats, tout disposés à lutter contre l’insécurité (supposée) grandissante, nous resserviront leurs discours musclés. Tolérance zéro, peines plus sévères pour les mineurs, et patati et patata ! Les grands mots pour continuer à stigmatiser la même population: les jeunes en difficulté des quartiers sensibles, Pas tous les jeunes qui y vivent…

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