Santé trans : la dépsychiatrisation en débat à l’OMS
Dépsychiatriser les transidentités ? Une question sensible au coeur de la santé trans. L’Organisation Mondiale de la Santé souhaite faire évoluer la classification des troubles mentaux et ouvre ainsi un débat que les associations trans réclament depuis longtemps. Alors que dans plusieurs pays d’Europe les législations vont dans le sens d’une facilitation des parcours trans, en France, ça grince. Warning vous en dit plus.
La classification internationale des maladies (CIM) publiée par l’OMS est en train d’être révisée, pour une publication de la 11ème version prévue en 2013. Cette révision est le théâtre de nombreux débats sur les différentes classifications et notamment sur la classification des trans. Les transidentités sont, dans la CIM 10, classées dans les troubles mentaux, et il semblerait que l’OMS aurait pour volonté que cela change. Dans le cadre de ce travail de réflexion, la révision de la CIM se fait sous forme de forum hybride. Il est donc possible à tout individu ou association de faire des propositions sur les modifications à apporter.
Le 17 décembre se tenait à l’Université Paris 5 une journée d’études
organisée par le Cermes3 et le centre coordinateur de l’OMS (CCOMS) de
Lille intitulée : Comment classifier/déclassifier sans stigmatiser ? Troubles du genre et de la sexualité.
Cette journée qui réunissait associatifs, psychiatres, représentants de
l’OMS et universitaires était l’occasion pour beaucoup de réfléchir à
une nouvelle classification. En effet, la déclassification complète
semble difficile, voire utopique. Ne pouvant nier l’influence de la
classe sociale dans l’accès aux traitements et aux chirurgies, une
déclassification complète ne permettrait pas ou difficilement une prise
en charge par la sécurité sociale et les mutuelles. Il s’agit donc dans
un premier temps de chercher à dépsychiatriser sans démédicaliser.
Ceci s’inscrit dans une logique de dépsychiatrisation globale en accord avec les recommandations européennes d’Hammarberg [1].
Logique à laquelle la France semble bien hostile. Lors de cette journée
d’études, les seul-e-s tenant-e-s irréductibles d’une psychiatrisation
des transidentités semblaient être les psychiatres français-es, la
présidente de la SoFECT [2]
en tête. Et alors que tout pousse à croire que les transidentités vont
sortir de la classification des troubles mentaux de la CIM, le Ministère
de la santé français continue son projet de Centres de référence en
collaboration avec les psychiatres de la SoFECT. Ces centres ont pour
objectif de centraliser et contrôler les parcours de transition en
formant des équipes pluri-disciplinaires, composée notamment
d’endocrinologues, de chirurgiens et de psychiatres. Cependant, aucune
garantie n’a encore été donnée aux associations quant au maintien de la
possibilité d’effectuer un parcours dans le privé, en choisissant ses
médecins. Ces centres ne feront, pour beaucoup, qu’officialiser et
entériner le contrôle des psychiatres dans les parcours de transition.
Cette journée fut l’occasion d’entendre Mme Bonierbale, psychiatre et présidente de la SoFECT, dire que la psychiatrisation avait pour but de « protéger les gens d’eux-mêmes ». Or, on sait depuis longtemps que les difficultés d’accès aux traitements qu’entraîne la place des psychiatres dans les parcours trans posent de sérieux problèmes en matière de santé trans : dépression, auto-administration d’hormones pouvant être de mauvaise qualité ou mal dosées, tentatives de suicide, etc. Il semblerait donc, au contraire, que sortir de la psychiatrisation ce soit justement, et concrètement, « protéger » les trans et leur santé.
Alors que l’OMS semble vouloir prendre en compte les paroles des associations trans dans la redéfinition des classifications, et même si la prise en compte réelle de cette parole restera à prouver, le Ministère de la santé se place dans une démarche radicalement différente. Bien que le Ministère intègre a minima les associatifs trans dans les réflexions actuelles sur la mise en place de Centres de référence, la mise en place de ces centres ne reflète aucune volonté de sortir les parcours de transition du contrôle psychiatrique. Dans cette perspective, l’absence de représentants du Ministère – qui s’étaient pourtant inscrits pour cette journée – est tout à fait frappante.
Roselyne Bachelot annonçait le 16 mai 2009 la dépsychiatrisation des transidentités en faisant passer la prise en charge des parcours de transition de l’ALD 23 (affections psychiatriques de longue durée) à une autre ALD. De nombreuses associations trans dénoncèrent immédiatement le caractère trompeur de ce changement de classification qui ne constituait en rien une réelle dépsychiatrisation. A la lumière des récentes négociations sur les Centres de référence et du positionnement des psychiatres de la SoFECT, il apparaît de plus en plus que, derrière les annonces ministérielles, la France souhaite garder les trans dans le système psychiatrique. Si bien que le contrôle des psychiatres dans les parcours trans pourrait bientôt devenir la nouvelle exception culturelle française.
Source : The Warning.